Des migrants d’El Ouardia à Tunis : « On te crache dessus, on t’insulte »
Le centre d’El Ouardia à Tunis, qui est officiellement prévu pour accueillir et orienter les migrants, est en réalité un lieu où sont entassés une cinquantaine de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile majoritairement issus de pays subsahariens, sans aucune indication sur le sort qui les attend. Le centre est sous la tutelle de la gendarmerie tunisienne, qui refuse l’accès aux ONG et aux avocats travaillant sur les questions migratoires.
Fatma Ben Hamad a pu échanger avec un migrant ivoirien détenu depuis l’été dernier. Léopold (pseudonyme) est arrivé en Tunisie il y a quelques années pour poursuivre ses études supérieures. Son diplôme en poche, il a décidé de rester travailler dans le pays et a fondé une famille. En 2021, inséré dans la vie active, il souhaitait renouveler son titre de séjour afin de résider légalement en Tunisie, avec sa femme et son enfant. Mais, avant de pouvoir finaliser la procédure, il a été arrêté avec plusieurs autres Subsahariens, lors d’une descente de police sur les locaux de l’Association des Ivoiriens actifs de Sfax (AIVAS) le 25 août 2021, et placé en détention provisoire à Tunis.
Jugé au tribunal de L’Ariana, Léopold est finalement libéré par la justice le 22 juillet 2022, mais est emmené immédiatement dans le centre pour migrants d’El Ouardia à Tunis, sans assistance juridique ni administrative.
Des Migrants humiliés
« La manière dont on est accueillis dans ce centre en dit long sur le déroulé des choses : les agents sont déjà préparés à nous faire du mal. On te crache dessus, on t’appelle « kahlouch » [« noireau » en arabe maghrébin, NDLR] ou « guirguira » [mot censé imiter des cris de singe, NDLR]… Les agents de la Garde nationale nous disent : « La Tunisie, c’est notre pays, on fait ce qu’on veut avec vous. »
Depuis mi-février, une vague de violences et d’arrestations a touché les migrants subsahariens en Tunisie, notamment à la suite des propos tenus par le président tunisien Kaïs Saïed, qui avait appelé à expulser les « hordes de migrants clandestins » présents dans son pays.
Beaucoup de détenus ont été transférés de la prison de la Mornaguia, car là-bas, il n’y avait déjà plus de place. Avant que la campagne de rafles ne débute en février, on était peu nombreux dans le centre. Mais, depuis, on constate que des personnes sont amenées à El Ouardia après qu’un juge les a libérées, ou bien des migrants sont transférés dans le centre après avoir fait entre un mois et huit mois de prison. Nous sommes une cinquantaine dans le secteur des hommes et environ quatre détenues côté femmes.
Léopold est traumatisé
Léopold a été libéré depuis plusieurs mois maintenant, mais il ne se sentait pas encore libre. Il avait l’impression d’être en prison, mais cette fois-ci c’était dans sa propre tête. Les souvenirs de son emprisonnement étaient encore très présents et le hantaient tous les jours. Il essayait de trouver un moyen de faire face à ses traumatismes, mais il ne savait pas comment s’y prendre. Il avait besoin d’aide.
Le discours virulent du président Tunisien Kais Saied dénonçant l’immigration clandestine avait suscité beaucoup de débats. Suite à cela, la présidence de la République, le gouvernement et le ministère des Affaires étrangères ont pris la décision de délivrer des cartes de séjour d’un an aux étudiants ressortissants de pays frères africains, de prolonger les attestations de résidence de trois à six mois et de faciliter les opérations de retour volontaire.
Les agressions physiques ainsi que les témoignages de migrants poursuivis et dépouillés par des milices se sont multipliés, entraînant un mouvement de rapatriement chez les ressortissants d’Afrique subsaharienne. Les propos tenus par le président tunisien Kais Saied ont été qualifiés de racistes et haineux par des ONG.