La Bataille d’Icheriden : Les Montagnes Kabyles Ont Tremblé
C’était un matin de juin 1857. Le soleil, pâle encore, glissait sur les crêtes du Djurdjura, ces montagnes kabyles qui semblaient toucher le ciel. En contrebas, dans le village fortifié d’Icheriden, 5 000 guerriers retenaient leur souffle. Face à eux, l’armée française, forte de 45 000 hommes, déployait ses divisions comme un serpent prêt à étouffer sa proie. Le maréchal Randon, moustache taillée au cordeau, avait promis à Napoléon III la « pacification » de la Kabylie. Mais ici, entre les pierres et les oliviers, une autre histoire s’écrivait.
L’Alésia Kabyle
Les Kabyles, menés par la légendaire Lalla Fatma N’Soumer et le chef Sidi El Djoudi, avaient transformé Icheriden en forteresse. Des murs de pierre sèche, des pièges dissimulés sous les sentiers, des enfants armés de frondes – chaque âme était un soldat. « Ils défendront chaque rocher comme si c’était leur cœur », murmurait un vieil homme, les yeux rivés sur les canons français qui grondaient déjà.
Le général Mac Mahon, futur président de la République, avait choisi la stratégie de l’étau. Trois colonnes avançant en silence, guidées par des éclaireurs ennemis capturés. À l’aube du 24 juin, l’artillerie tonna. Les obus labouraient la terre, soulevant des nuages de poussière et de sang. Mais les Kabyles, accroupis derrière leurs remparts, ne bronchaient pas. « Ils sont faits de la même roche que ces montagnes », maugréa un lieutenant, ajustant son sabre.
L’Assaut
À midi, sous un soleil de plomb, le 2ᵉ régiment étranger reçut l’ordre de contourner les défenses. Menés par le commandant Léon Mangin, les légionnaires avançaient en colonne serrée, leurs uniformes bleus maculés de sueur. Les balles kabyles sifflaient, clouant les hommes un à un. « Ne ripostez pas ! », hurlait Mangin, sabre levé. Ils progressaient, fantômes sous le feu, jusqu’à prendre position sur les hauteurs.
Soudain, ce fut la manœuvre fatale : les zouaves chargèrent par le centre, tandis que les légionnaires attaquaient à revers. Les Kabyles, encerclés, se battirent avec la rage du désespoir. Des vieux lançaient des pierres, des femmes brandissaient des faucilles. Un enfant, pas plus haut qu’un fusil, cria en tombant : « Dda Lalla ! » (« Mère ! »).
Le Prix du Sang
Quand le silence retomba, Icheriden n’était plus qu’un champ de ruines. Les Français comptaient 400 morts, dont 30 officiers. Mac Mahon, blessé à l’épaule, contemplait le carnage. « Ces gens ne se rendent pas, ils meurent », gronda-t-il. Randon, lui, promit aux survivants de respecter leurs lois. Promesse de vainqueur, soufflée par le vent.
Pourtant, la Kabylie ne plia jamais vraiment. En 2006, des villageois découvrirent 650 tombes anonymes près d’Icheriden. Des ossements entrelacés, des crânes fendus par les baïonnettes. « Ce sont nos grands-pères », murmura un vieil homme en caressant la terre. Aujourd’hui, une stèle se dresse là, gravée d’un seul mot : Ammussu (« Résistance »).
L’Écho des Ancêtres d’Icheriden
La bataille d’Icheriden ne fut pas une victoire, mais un serment. Celui d’un peuple qui préféra l’honneur à la soumission. Dans les veillées kabyles, on raconte encore comment Lalla Fatma, capturée peu après, fixa ses geôliers droit dans les yeux : « Vous prendrez nos terres, mais nos chants traverseront les siècles. »
Et chaque printemps, quand les genêts fleurissent sur le piton d’Icheriden, les montagnes semblient chuchoter leur secret : ici, des hommes libres ont prouvé qu’une poignée de rochers peut tenir tête à un empire.